En tant que personne autiste, une de mes plus grandes difficultés a toujours été d’arriver à parler verbalement aux gens. Cela a été est est toujours mon plus grand frein vers l’indépendance.

Certaines pensent encore que les personnes ayant un syndrome d’Asperger n’ont pas de difficultés avec le langage et la parole. Je pense vraiment que cela est faux. Avoir développé le langage dès son plus jeune âge n’est absolument pas synonyme de savoir parler à des gens inconnus ou en public, de savoir créer un discours structuré et intelligible.

Personnellement, la difficulté n’est pas que je ne sais pas quoi dire ou comment le dire. Je peux avoir préparé un texte appris par cœur, cela ne change absolument rien. Le principal problème est que je n’arrive à saisir si mon interlocuteur comprend ce que je dis, le prend mal ou au contraire, apprécie. En d’autres mots, j’ai toujours peur de la réaction des gens.

Au fil des années, j’ai fini par devenir anxieux et ne plus oser parler. Parler à une personne que je ne connais pas est impensable comme par exemple à la boulangère pour lui énoncer ce que je souhaite acheter ou à quelqu’un dans la rue qui me demanderait son chemin. Je reste littéralement bloqué, sans réagir et sans prononcer le moindre mot.

Avec le temps, je finis par connaître les réactions des personnes que je rencontre souvent. Je peux donc parler aux enseignants, aux autres élèves de la classe mais cela se fait en chuchotant. Je n’ai pas la force pour prononcer entièrement les mots à voix haute. Ainsi, même après avoir passé plusieurs années dans la même école, à rencontrer sans cesse les mêmes personnes, très rares sont celles ayant entendu le son de ma voix. Lorsque je parle, je suis immédiatement stressé. Je parle vite et ne prend pas le temps d’articuler et j’avale mes mots.

Pendant de longues années, j’ai pensé que ne pas être capable de parler était la seule difficulté liée à l’autisme. Cela fut un très gros frein tout au long de ma vie :

  • Ne pas pouvoir présenter le travail scolaire au tableau devant tout le monde. Lorsque toute la classe est interrogée sauf moi. Bien que j’ai eu la chance que les enseignants se soient adaptés et aient mis en place des aménagements, en transformant le travail oral par de l’écrit, cela reste extrêmement frustrant ;
  • Ne pas pouvoir aller de façon indépendante dans un magasin, dans une administration, de peur que quelqu’un m’adresse la parole et que je reste bloqué, sans pouvoir prononcer le moindre mot. Cela a longtemps freiné le développement de mon indépendance ;
  • Ne pas pouvoir socialiser avec de nouvelles personnes et ainsi trouver des amis

Il n’y a qu’à la maison, où le stress est suffisamment bas et où je connais très bien les personnes à qui je parle que je peux parler à voix haute, sans avoir besoin de faire des phrases grammaticalement correctes et en étant parfois assez à l’aise pour ajouter la gestuelle à mon discours. En d’autres mots, parler comme n’importe qui d’autre est capable de parler.

Dans quelques semaines, je devrai effectuer ma soutenance de doctorat devant un jury et j’aimerais vraiment être capable de réaliser la présentation par moi-même. Je ne veux pas qu’un enseignant qui oubliera de dire la plupart des choses importantes le fasse pour moi. Je ne veux pas non plus préparer un enregistrement audio qui dégrade l’interaction. Mais parler en public devant des gens inconnus et plus encore, à un large public me fait réellement peur. Peur de rester bloqué face à eux, sans pouvoir dire ni faire quoi que ce soit.

Pour cela j’ai commencé à m’entrainer à prononcer le texte de ma présentation à la maison, devant mes parents. Les seules personnes à qui en temps normal je suis capable de parler correctement.

Par la suite, je vais répéter mon texte devant un enseignant de l’école. Bien que cette étape est bien plus difficile, prononcer un texte appris par cœur me permet de réciter machinalement, sans réellement être concentré sur ce que je dis ni sur les réactions des gens.

J’espère que cette approche sera la bonne !

En tant que parent ou enseignant, vous pouvez faire plusieurs choses pour faciliter les interactions et la communication verbale :

  • N’hésitez pas hésiter à acquiescer régulièrement pour signifier que vous avez compris ce que la personne autiste dit. Cela est vraiment une forte incitation à continuer la communication orale. Cela évite également qu’à la fin.
  • Ne jugez pas trop rapidement. Il est vraiment difficile de parler à quelqu’un qui vient juste de nous considère comme inférieur, mal élevé ou déficient. Avant de faire une remarque, assurez-vous d’avoir bien compris ce que la personne a voulu dire.
  • Exprimez votre ressenti clairement. Par exemple vous pouvez dire « Je trouve très bien que… ». Cela évite aux personnes autistes de devoir déchiffrer votre réaction telle qu’une émotion incompréhensible sur votre visage.

Aujourd’hui nous ne savons pas grand-chose sur les raisons pour lesquelles certaines personnes autistes sont non verbales. Mais peut être que cette difficulté à appréhender et à comprendre les réactions des autres suite aux mots que nous prononçons en fait partie.