Le passage vers l’université et les études supérieures n’est pas un sujet facilement abordé. Pendant de nombreuses années et encore aujourd’hui, les personnes autistes ont été exclues de l’école primaire. Peu arrivent au collège et encore moins au lycée. Bien que cela soit en train de changer, le passage vers les études supérieures n’est pas encore un sujet d’actualité.

Personnellement, j’ai suivi mes études supérieures dans un Institut Universitaire de Technologie (IUT) puis dans une école d’ingénieurs. Ces structures rattachées à l’Université, en reprennent l’organisation tout en étant suffisamment petites pour connaître la plupart des enseignants qui y donnent des cours et ne pas être traité comme un numéro.

Du mois de janvier à la rentrée des classes en septembre, j’ai bénéficié de plusieurs visites des locaux, pour apprendre à quoi ressemblent les lieux, où se déroulent les cours. Où aller le midi, etc. J’ai également eu l’occasion de rencontrer certains enseignants. Je pense que cela est très important pour ne pas être perdu le jour de la rentrée et ne pas angoisser avec des questions comme « Que dois-je faire si… ? ».

Une enseignante de mon lycée s’est également déplacée pour expliquer quels aménagements avaient été mis en place, quelles sont mes difficultés, etc. L’accueil s’est donc très bien passé et la plupart des aménagements dont je bénéficiais au lycée ont été reconduits. Je ne refais pas la liste. Les enseignants m’ont beaucoup aidés, que ce soit pour me demander si tout se passe bien à la fin de chaque cours, pour la gestion de l’emploi du temps : les enseignants appelaient mes parents lorsque l’emploi du temps était modifié à la dernière minute, ou pour les stages : ce sont eux qui m’ont trouvé les entreprises dans lesquelles j’ai effectué les différents stages obligatoires tout au long de mon cursus. Je dois donc beaucoup aux enseignants que j’ai rencontré après le lycée.

Toutefois, les études supérieures apportent des changements non négligeables (positifs et négatifs) dans l’organisation des cours, des devoirs et dans la façon de travailler. Les matières étudiées qui ne sont plus les mêmes qu’au lycée est l’un des plus grands changements. Dès les premiers jours de l’année, les journées furent remplies d’algorithmiques, de programmation et de plusieurs matières liées à l’informatique (fillière dans laquelle je suis allée). Plus de français, d’allemand, de physique-chimie. Cela fut assez déroutant au début mais il a été plus facile pour moi de m’impliquer dans des matières que j’aime réellement. Étudier des matières qui me plaisent m’a permis d’avoir de bonnes notes et d’être vu comme un bon élève par la plupart des enseignants.

Néanmoins, d’autres difficultés sont apparues :

  • Avoir un emploi du temps qui change chaque semaine. Au lycée, l’emploi du temps est fixe et est défini une fois pour toutes au début de l’année scolaire. Ainsi tous les lundi à 8 heures, il y a un cours de mathématiques en salle X. Cela permet de construire une routine, que ce soit pour naviguer dans l’établissement, pour préparer le cartable le soir ou encore pour réviser les leçons. À l’université, l’emploi du temps est différent chaque semaine. Cela ajoute du stress au quotidien. Par exemple à l’inter-cours, je me pose la question de savoir si je me dirige bien vers la salle indiquée pour la semaine ? Ne confonds-je pas avec la semaine prochaine ou la semaine dernière ? De même pour préparer les exercices et réviser  quand est le prochain cours ? Dois-je impérativement finir l’exercice ce soir car le prochain cours est demain ou cela peut-il attendre la semaine prochaine ?
  • Changement de groupes chaque semestre. De même que l’emploi du temps qui change chaque semaine, les groupes ne sont pas figés au début de l’année. Ils changent à Noël et pour certains cours. Cela rend difficile de repérer les personnes avec qui travailler. De même, certains cours se font avec plusieurs groupes en même temps. Il m’est difficile en entrant dans la salle de savoir si je suis au bon endroit juste en regardant les gens déjà installés et cela m’angoisse.
  • Les cours en amphithéâtre. Entrer la première fois dans une pièce si grande, avec une centaine de personnes assistant au cours est quelque chose de vraiment nouveau à l’université. Les tables sont étroites et ne permettent pas de poser sa trousse en plus de son cahier, les chaises sont également fixées au sol et ne permettent pas de poser son manteau sur le dossier. Ce changement d’habitudes a généré beaucoup de stress les premiers temps.
  • Étudier au-delà du cours. Au lycée, apprendre le cours dicté par l’enseignant et faire les exercices est suffisant. À l’université, il est nécessaire d’aller au-delà, comme lire des livres sur le sujet du cours. La difficulté ici pour moi est d’une part de trouver quoi lire sans trop s’éloigner du sujet du cours. L’autre est de savoir se limiter dans le temps. Il est facile pour moi de passer à la leçon suivante tant que je ne suis pas certain d’avoir suffisamment travaillé une matière. Enfin, à l’université, les devoirs à faire ne sont pas toujours donnés clairement. Des exercices peuvent être faits pendant le cours et l’enseignant ne précisera pas de terminer à la maison.
  • Travail en mode « projets ». Au lycée, les devoirs sont donnés pour le prochain cours, quelques fois pour la semaine suivante et rarement pour plus tard. À l’université, j’ai eu beaucoup de « projets » à rendre plusieurs mois après que le sujet ait été distribué. S’organiser pour les faire et trouver le temps a parfois été difficile mais ne pas savoir si j’avance assez vite pour que le rendu soit présenté à l’heure m’a souvent stressé.
  • Les travaux de groupe sont plus nombreux qu’au lycée. Les travaux pratiques et les projets à réaliser en groupe se sont mal passés car généralement les autres personnes du groupe attendent les derniers jours pour écrire les rapports et les compte-rendus tandis que pour moi, tout doit être fini le plus vite possible. Sur les dernières années du cursus, j’ai réalisé les travaux de groupe, seul dans mon coin. Bien que cela m’a rajouté du travail supplémentaire, cela m’a également évité beaucoup d’énervement.

Le dernier point que je veux aborder est qu’à l’université, beaucoup d’étudiants se voient en dehors des cours, organisent des événements, des sorties, des activités, … Je regrette de ne jamais y avoir été invité ou même informé. Bien que j’aurais certainement refusé au début, j’aurais peut-être accepté avec le temps mais surtout, cela m’a donné le sentiment de ne pas faire entièrement partie de la classe, de ne pas y être inclus.

J’ai été chanceux d’avoir une université près de chez moi qui mette en place autant d’aménagements. Je n’imagine même pas comment il m’aurait difficile de devoir quitter la maison et apprendre à vivre de façon indépendante du jour au lendemain si l’université se serait trouvée à plusieurs dizaines de kilomètres de là où j’habite.

J’ai également été chanceux d’avoir mes parents pour m’emmener et venir me chercher, en début et en fin de journée mais également sur la pause du midi. J’ai également eu la chance que mes parents soient là pour discuter avec les enseignants, signaler les problèmes, etc. Sans eux, mon parcours aurait été bien plus compliqué. Je pense qu’aujourd’hui, il est important d’apprendre aux personnes autistes les compétences pour aller demander eux-mêmes les aménagements et les aides dont ils ont besoin.